Refaire le monde (des bars)
Celles et ceux qui ouvrent un bar doivent se poser de nombreuses questions, et il est toujours surprenant de constater combien oublient la plus importante d’entre elles : « Quel budget affecter à tout ce qui ne touche pas à la gestion du bar ? » vs « Quel budget affecter aux opérations qui concernent le bar à proprement parler ? ». C’est une question difficile, car il faut une bonne compréhension et l’expérience de la gestion d’un tel établissement : manquer de l’une ou de l’autre se ressentira dans le produit fini. Vous pourriez aisément croire à tort qu’il faut concentrer la majorité de vos efforts dans l’aménagement et la décoration de l’espace, à savoir les meubles, les équipements et l’ambiance générale, en pensant que cela vous distinguera de la concurrence et attirera du monde dans votre établissement plutôt qu’un autre. Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas non plus juste. Le véritable problème ne se manifeste qu’une fois l’établissement ouvert, car si vous n’avez pas méticuleusement prévu votre concept et sa gestion, ou si vous n’avez pas de plan, vous risquez fort de dépasser votre budget. Il est étonnamment facile de trop dépenser, et de se retrouver malgré tout avec un établissement mal conçu qui ne fonctionnera jamais de manière efficace, ou pire, qui est condamné à la faillite avant même d’avoir ouvert ses portes.
Un scénario classique de notre secteur, et l’un de ses principaux problèmes, est le manque de communication entre les « trois principaux acteurs » de ce processus : les propriétaires, dont la vision et les investissements imagineront l’endroit ; les concepteurs, qui le construiront ; et l’équipe qui le fera tourner une fois qu’il sera ouvert. Le principal problème qui se pose dans ce contexte est un mauvais timing et le manque de communication. Les propriétaires et les concepteurs, qui sont souvent ceux qui lancent le projet, n’ont parfois qu’une compréhension très limitée, voire aucune compréhension du tout, de ce qu’il faut pour faire tourner avec succès un établissement. Lorsqu’ils ne savent pas clairement comment concevoir, construire et organiser la logistique de leur rêve, quelqu’un doit être présent du côté opérationnel pour orienter le processus et concrétiser les idées. Si tel n’est pas le cas, les choix de conception sont souvent illogiques et sacrifient la logistique et le caractère pratique de l’établissement au profit de l’esthétique et des zones d’accueil des clients.
Une fois l’établissement construit et prêt, l’équipe qui investira l’espace intervient et, puisqu’elle n’intervient qu’une fois les décisions prises, c’est elle qui doit subir les conséquences d’un espace mal conçu, et par conséquent porter la responsabilité d’éventuelles difficultés. Toutefois, on ne cherche pas ici à distribuer les blâmes, mais à trouver le moyen d’éviter ces difficultés, en réunissant simplement ces trois acteurs. Une concertation bien menée permettrait d’éviter 70 % des erreurs de conception, simplement grâce à des échanges transparents et des retours d’information.
Si vous voulez ouvrir l’établissement le matin pour servir du café, prévoir une large gamme de spiritueux ou servir vingt types de vin différents au verre, c’est possible, mais il faudra concevoir l’établissement en fonction, pour qu’il soit concrètement possible de le faire et que l’expérience client soit positive. Prenons par exemple une carte des vins avec vingt propositions au verre : cela exige qu’il y ait, dans l’équipe, bien plus qu’un seul spécialiste en vins expérimenté pour les choisir. Il faudra aussi un espace pour entreposer les vins ; des caves à vin réfrigérées pour servir les vins aux bonnes températures, davantage de verres, ce qui signifie qu’il faudra des étagères pour les stocker, mais aussi une plus grande zone pour laver ces verres et davantage d’employés affectés à cette zone. Cela pèsera à son tour sur la gestion des ordures : que faire de toutes les bouteilles vides ? La liste est potentiellement infinie, et ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses questions auxquelles vous devrez réfléchir avant de concevoir l’espace, autant de considérations qui augmenteront votre budget. Mais si vous ne connaissez pas toutes les étapes qu’implique de servir un verre de vin, ou plus important, une bouteille de vin au verre, il sera difficile de prévoir et de concevoir l’espace en fonction de ce service particulier.
Il serait donc très avantageux d’avoir cette vision d’ensemble dès le départ, non seulement en termes de coût de construction, mais aussi en définissant des attentes raisonnables pour un espace et une équipe. Il est toujours difficile de gérer avec succès un commerce de bouche, mais si en plus vous ne le concevez pas bien dès le départ, cela devient une mission impossible. C’est en réalité une question de chiffres et avant de commencer à prévoir la couleur des peintures ou les coussins des banquettes, il serait utile de réfléchir au nombre de toilettes qui seront nécessaires, et comment optimiser ce lieu pour raccourcir autant que possible la file d’attente ? Combien de stations de bars ou de bartenders seront nécessaires pour servir les clients dans cet espace ? Combien de réfrigérateurs et de congélateurs seront nécessaires ? Quelles sont les exigences de ventilation pour que l’endroit soit aussi confortable en été qu’en hiver? Et cætera. Vous ne vous poserez peut-être pas instinctivement toutes ces questions pour l’ouverture du bar de vos rêves, mais si vous voulez avoir un espace fonctionnel, il faut s’y pencher. En effet, anticiper ces questions peut déterminer la réussite de votre entreprise.
Monica Berg