Série “Extraction des saveurs” : et si l’infusion n’avait rien de compliqué ?
Dans le premier épisode de cette nouvelle série consacrée à l’extraction des saveurs, Monica Berg partage ses conseils et ses techniques d’infusion, et explique pourquoi la simplicité vous mènera aux meilleurs résultats.
Dans cette série, nous nous intéresserons aux techniques permettant d’extraire la saveur d’un ingrédient – des plus connues aux plus rares – dans le but de créer de délicieuses boissons.
Commençons par une des méthodes les plus utilisées : l’infusion.
Avant de commencer, je tiens cependant à mettre quelques petits points au clair : infusion, macération, décoction – lorsqu’on utilise ces termes culinaires dans le but de créer des boissons, ils désignent (quasiment) la même technique. Certes, il existe des variations et nuances mineures, mais dans l’optique de garder cette séance compréhensible, considérons-les tous comme de « l’infusion ». Du moins, pour l’instant.
L’objectif principal de l’infusion (autrement dit, du fait de laisser tremper ou macérer un ingrédient – herbe, fruit ou végétal – dans un liquide) est d’en extraire la saveur. Si cette technique avancée est souvent la première rencontrée par nombre d’entre nous à nos débuts derrière un bar, la pratiquer en toute simplicité reste, à mes yeux, la meilleure option. En tant que personne ayant travaillé en plein milieu de l’engouement pour les Martini infusés (les Martinis au fruit de la passion, à la pomme verte ou la rhubarbe étaient certainement les plus populaires à l’époque où je travaillais dans des clubs), la méthode était plutôt directe : infusez l’ingrédient de votre choix dans de la vodka, puis mélangez avec une liqueur, du jus de fruit, voire avec des agrumes, shakez. Tadam !
Depuis, évidemment, j’ai beaucoup appris en matière de technique ; notamment à superposer les arômes et à extraire les saveurs de façon plus réfléchie – mais une chose n’a pas changé : c’est toujours ma façon préférée de capturer la véritable nature d’un ingrédient, quel qu’il soit.
Je vous invite donc à me suivre dans mes réflexions et mes petites expérimentations infusées – qui, je le précise, constituent une affaire personnelle, particulière à chaque bartender.
Les trois T
Infusion de mangue
Lorsqu’on s’intéresse de plus près aux infusions, trois éléments sautent aux yeux : le temps, la texture et la température. Ces trois éléments impactent le résultat final en profondeur et, le plus souvent, il est nécessaire de les utiliser ou les maitriser tous les trois (souvent ensemble) pour obtenir le meilleur résultat.
Commençons par le temps. On considère souvent le temps comme un luxe, ce qui me semble particulièrement vrai quand on est en pleine préparation – il arrive même que, lorsqu’une préparation ne prend pas la direction souhaitée, la meilleure chose à faire soit de la laisser de côté et d’y revenir plus tard. En général, mes infusions les plus courtes ne durent pas plus de quelques heures (notamment quand j’infuse des ingrédients très puissants comme les grains de café), tandis qu’il peut m’arriver de laisser infuser des ingrédients pendant des mois, voire des années.
Si vous voulez infuser des fraises, par exemple, la durée est primordiale car elle va déterminer l’intensité de la saveur. Cependant, il est possible de jouer avec le ratio fraise/liquide en ajoutant des fraises supplémentaires afin de réduire le temps d’infusion. Si, au contraire, vous disposez de moins de fraises que de liquide, alors vous devrez allonger la durée d’infusion pour obtenir un résultat similaire.
Vous pouvez également influencer le processus en maximisant le ratio de surface. Par exemple, si vous coupez les fraises en petits morceaux, vous obtenez une plus grande surface de contact – vous pouvez même mixer les fraises en purée afin d’obtenir une intégration optimale entre les deux ingrédients, mais cela allongera votre préparation car vous devrez ensuite filtrer le liquide pour lui rendre sa clarté. Sans oublier que la violence du mixage risque de détruire certains des composés aromatiques les plus volatils de la fraise.
Passons à la texture. L’alcool et la matière grasse sont tous deux d’excellents vecteurs de saveur : une fois que vous aurez compris leur fonctionnement, ils vous faciliteront grandement la tâche. Par exemple, il faut savoir qu’on obtient un résultat différent en infusant des fraises dans du lait ou dans de la crème épaisse, car la texture du liquide réagit différemment à la fraise, et transporte d’autres éléments. C’est pareil si vous infusez des fraises dans des liquides alcoolisés, dans la mesure où le degré d’alcool va impacter non seulement la texture du liquide mais, surtout, la proportion d’eau présente dans le liquide – sans oublier que des titrages différents n’extrairont pas les mêmes saveurs au cours du processus.
Infusion de mousse de chêne portugais
Imaginez-vous le profil aromatique dans son entièreté d’une fraise fraîche. C’est ça que vous voulez capturer. Or les infusions et les préparations effectuées ne restituent que des angles de vue, des morceaux isolés de ce profil – pour obtenir l’image dans son ensemble, il faut donc les réunir. C’est, en quelque sorte, ce que je vois lorsque je goûte un ingrédient et que je le déconstruis dans ma tête afin de déterminer les techniques à employer pour le reconstituer entièrement dans un cocktail.
En termes pratiques, cela signifie que si vous préparez une infusion de fraise dans de la vodka, du gin ou un autre produit à volume d’alcool élevé, vous obtenez une dimension de la fraise ; mais si vous avez l’occasion de préparer en parallèle une infusion avec un liquide à la teneur en alcool moins élevée (du type vermouth ou vin cuit) et que vous associez les deux infusions dans votre boisson, votre représentation de la fraise gagnera en réalisme et en complexité.
Pour terminer, nous avons la température – peut-être le T le plus controversé à mes yeux. Comme je l’ai mentionné plus tôt, je recours principalement aux infusions dans le but de capturer la véritable essence d’un ingrédient. Autrement dit, je suis toujours en quête des nuances les plus délicates.
Si vous avez déjà croqué dans une fraise en pleine saison, je ne vous apprends rien : tout commence par un éclat juteux, suivi de la douceur sucrée et fruitée qui s’attarde en bouche, presque jusqu’à la fin, avant de s’achever dans une minuscule pointe d’acidité, quasiment imperceptible. Rien à voir avec les saveurs confites, proches du bonbon, souvent obtenues lorsque vous chauffez la fraise – c’est pourquoi je m’abstiens toujours de monter la température.
Bien sûr, l’exception confirme la règle et il m’arrive de chauffer lorsque je travaille des ingrédients secs, ou des ingrédients comme des épices et des graines dont je cherche à extraire les huiles essentielles, etc. – mais, en règle générale, je travaille à (ce qu’on appelle de façon non-scientifique) « température ambiante ». Conclusion, lorsque je travaille avec des fruits ou légumes frais, en pleine saison naturelle, je n’utilise jamais de chaleur. Si le fruit s’avère cogné ou abîmé, alors l’infusion ne sera probablement pas la meilleure voie à emprunter – la fermentation sera sans doute plus adaptée.
De la simplicité avant toute chose
Infusion (en haut) vs fat-wash
Je prêche toujours pour moins ET plus, en d’autres termes, pour moins de technique, mais plus de soin accordé aux matières premières. Lorsqu’on emploie les meilleurs ingrédients, pas besoin d’en faire trop pour obtenir une explosion gustative.
Au final, il existe de nombreuses techniques parmi lesquelles choisir pour infuser : macération traditionnelle avec ou sans chaleur, infusion rapide avec iSi, scellé sous vide ou Supersonic – toutes présentent des avantages et des inconvénients. Mais, à mon avis, la plus grande question reste le coût. Par exemple, certains affirment gagner en temps et en efficacité en utilisant les chargeurs iSi pour infuser rapidement un liquide grâce à la pression ; sauf que, si vous regardez le tableau dans son ensemble, vous devez intégrer le coût des cartouches dans le prix de la boisson finale, ce qui augmente son prix et la production de déchets. Idem pour des équipements comme des appareils à emballer sous vide ou des Supersonic : l’investissement de départ est important et l’appareil lui-même occupe beaucoup (!) de place, donc il s’agit de bien calculer le nombre de boissons à préparer pour parvenir à le rentabiliser.
Utilisées de façon intelligente, les infusions deviennent vos meilleures alliées pour diversifier vos boissons. Attention toutefois à ne pas vous laisser berner par leur apparente simplicité de réalisation ! Une fois maîtrisées, elles vous permettront en revanche d’obtenir de bien meilleurs résultats que toutes les techniques plus « avancées », sans le moindre doute.