Résister à l’épreuve du temps: Kirsten Holm et K-Bar
Malgré sa réputation gastronomique internationale, Copenhague n’est pas la première ville à laquelle on pense pour les sorties dans les bars. Cependant, il y a vingt ans, Kirsten Holm a réussi à hisser Copenhague, et peut-être même le Danemark tout entier, sur le devant de la scène de la mixologie : Le K-Bar a ouvert ses portes en 2002 et est encore aujourd’hui une adresse incontournable pour déguster des cocktails. Aujourd’hui, Kirsten est reconnue comme l’une des pionnières de l’industrie de l’hospitalité locale ; elle intervient dans le premier épisode de la série Perspectives de la Campari Academy.
Kirsten regarde les bars à travers un prisme culturel. Il n’a pas toujours été aussi facile, et il reste plusieurs défis complexes à relever : « Les Scandinaves ne sont pas vraiment réputés pour leur sens de l’hospitalité et le facteur culturel y est largement lié. L’ouverture aux autres ne nous est pas naturelle et dans les années 70, rares étaient les Danois qui sortaient. Aujourd’hui, nous sommes plus cosmopolites, mais nous aimons ce qui nous rassure, ce que nous connaissons. Nous apprécions également la simplicité, comme vous le voyez dans notre design: net, blanc, épuré. Le K-Bar est traditionnel, avec un clin d’œil au style européen, plus évolué. Et j’insiste toujours sur la bonne conduite, ce qui n’est pas courant, car les danois ne sont pas habitués à sortir, donc ils ne sont pas toujours sophistiqués… »
Le parcours de Kirsten dans l’industrie a commencé tôt et a pris une place importante dans sa vie: « J’ai passé toute ma vie d’adulte dans ce secteur : j’étudiais l’audiovisuel à l’université de Copenhague et je travaillais en parallèle dans un bar de nuit. J’adorais l’aspect rock and roll de cette vie nocturne. Ça me plaisait de me dire qu’il n’y avait jamais de routine. De l’ouverture à la fermeture, je faisais mille choses différentes et vivais une vie tout entière en un seul service. Les possibilités dans le monde de l’hospitalité sont infinies, et c’est probablement ce pour quoi je suis tombée amoureuse de ce métier. »
Vingt ans plus tard, elle surfe toujours sur cette vague avec brio, et reste capable de s’adapter à l’époque et aux invités qui évoluent. « Je crois que c’est important de ne jamais se reposer sur ses lauriers. Si vous vous sentez trop à l’aise, ce n’est pas bon. Il faut rester le produit de l’époque et des tendances. Je ne suis pas portée sur la mode, mais je me tiens informée, je reste ouverte, je vais au cinéma, je reste dans l’air du temps. C’est comme ça que les changements se transposent le plus naturellement possible à notre activité. Je me souviens du début du mouvement hipster: je n’avais pas particulièrement décidé de le mettre à l’honneur dans le bar, mais je l’ai complètement absorbé. L’important, c’est de percevoir les petits changements, les détails finissent par se mêler à ma vision. »
Il va sans dire que toute la communauté considère Kirsten comme un maillon essentiel de sa chaîne. Si vous souhaitez avoir un aperçu de l’évolution de la culture bar à Copenhague, ne manquez pas de faire un tour au K-Bar. « Je ne sais pas si j’ai ou si j’ai eu de l’influence mais les entreprises autour de moi me demandent comment j’arrive à garder mon bar ouvert depuis vingt ans. Voici, je pense, quelques explications: je n’ai jamais transigé, j’ai toujours accordé de l’importance à la qualité et j’essaie de rester, avec mes équipes, attentive au changement. Aujourd’hui, avec l’expérience, j’ai pu gagner en confiance. Par exemple, si les ventes chutent d’un coup, je me dis que ça peut être une coïncidence, alors je garde la tête froide. Au début, je paniquais et puis j’ai réalisé que rien n’était plus important que de rester fidèle à son identité. C’est facile de s’en détourner, mais c’est vraiment ça la clé. »
Il n’y a pas de recette miracle pour façonner l’identité d’un bar et la rendre compréhensible. Néanmoins, il y a bien une petite idée qui imprègne le lieu et les croyances de Kirsten : « J’adore décrire le K-Bar en ces termes : le nouveau traditionalisme. On reste classiques, à la fois au niveau des saveurs et au niveau de l’hospitalité, tout en ayant un pied dans le contemporain. J’incite à l’ouverture d’esprit, à une attitude ouverte et positive, pour attirer un public varié. Mais malgré tout, je ne perds jamais de vue la base, les techniques et les idées à connaître impérativement. C’est comme apporter une touche personnelle à la tradition et c’est ce qui a permis au bar de survivre. »
Il existe encore un écart entre les cultures de la gastronomie et des bars au Danemark : la première est largement plus privilégiée (les restaurants ayant reçu des étoiles au guide Michelin sont faciles à trouver dans le pays), tandis que les bars de renom restent rares. Pourquoi ? Nous allons nous pencher sur le sujet : « Tous les chefs du Danemark sont formés à l’école, avec des programmes poussés, c’est pourquoi l’on assiste à l’essor du métier. Les bartenders ne disposent pas du même type de formation. Ils sont plutôt autodidactes, ce qui rend les choses plus compliquées. Mais je pense que la réussite de la sphère gastronomique nous pousse à nous améliorer, à apprendre, au sein de la grande famille de l’hôtellerie : les serveurs d’un restaurant Michelin sont absolument parfaits, ce qui nous encourage, nous, les bartenders, à prendre exemple. ».
La culture et la formation sont donc deux aspects fondamentaux sur lesquels Kirsten s’est appuyée pour venir nourrir sa démarche. Ces deux points sont essentiels dans un monde où une femme à la tête d’un bar reste une chose peu courante. « C’est également très lié à l’éducation. Mon père était très conservateur, mais il nous a toujours dit, à moi et à ma sœur, que nous devions aller à l’école, que nous devions nous préparer à redoubler d’efforts pour lutter contre la bêtise humaine et de ne pas le prendre personnellement. Et il avait raison. J’avais à cœur d’obtenir le respect, de ne pas me mettre en avant ni frimer. Je voulais surtout que les autres comprennent ce que j’avais à dire: je fais de mon mieux et j’essaie de faire ce qu’il faut chaque jour qui passe. » Et pour l’avenir ? « Je pense que les choses évoluent. L’éducation évolue, la formation tient compte de ces problématiques et incite à y faire face. Ensuite, les mouvements et les tendances ont leur rôle à jouer : plus l’on en parle, mieux c’est. »