Série “Extraction des saveurs” : les bases du fat washing par Monica Berg
Pour ce troisième épisode de la série consacrée à l’extraction des saveurs, la directrice créative de la Campari Academy nous présente le fat washing (sa technique préférée) et quatre façons de l’utiliser pour créer vos cocktails.
Parmi toutes les techniques que j’affectionne, l’une que je préfère est celle que l’on appelle en anglais le « fat washing » (lavage de graisse) et qui consiste essentiellement à utiliser l’excellente capacité de la graisse à imprégner les saveurs. Mais, si la graisse partage avec l’alcool le pouvoir d’emprisonner et de transporter les saveurs, elle se distingue toutefois par sa capacité à préserver les nuances les plus délicates et volatiles – précisément celles que je cherche souvent à exprimer lorsque je crée des cocktails.
Historiquement, la graisse a toujours été reconnue pour son habilité à « absorber » les saveurs et les composants parfumés : de l’infusion de piments et d’herbes pour concevoir des huiles aromatisées destinées à la cuisine, jusqu’au procédé de « l’enfleurage » inventé dans le sud de la France et traditionnellement utilisé par l’industrie du parfum pour extraire les composés odorants des fleurs les plus délicates, comme le jasmin ou la tubéreuse.
Vous l’aurez compris, de nombreuses raisons nous poussent à recourir à la technique du fat-washing, certaines plus évidentes que d’autres, entrons donc dans le vif du sujet.
Apporter de la saveur
Aussi ennuyeux et évident que cela puisse sembler, j’ai toujours été fascinée par les huiles (l’huile d’olive et différentes sortes d’huile de noix, comme l’huile de noisette, de noix ou de noix de coco) car elles apportent toutes leur saveur particulière et reconnaissable aux alcools avec lesquels elles infusent. Je suis prête à parier que je ne suis pas la première bartender qui, en dégustant une huile d’olive vierge de très bonne qualité s’est dit « Waouh, c’est incroyable – comment transformer ça en cocktail ? » La réponse étant : grâce un peu de travail et quelques étapes de préparation supplémentaires (après tout, vous voulez uniquement le goût de l’huile, par l’huile elle-même).
Huile de piment chipotle et vodka
Rien de plus simple : mélangez l’huile et l’alcool choisis, laissez infuser le temps souhaité, placez au congélateur pendant une nuit et filtrez au moyen d’un filtre (à café) en papier jusqu’à ce que l’alcool retrouve sa clarté originale. C’est magique : votre alcool a beau avoir repris son aspect normal, il se révèle complètement transformé une fois en bouche. Si vous avez fait l’expérience avec de l’huile d’olive et du gin, vous voilà désormais avec un gin qui a le goût de l’huile avec lequel il a été infusé, sans la graisse ni la lourdeur.
Bien sûr, il existe encore bien d’autres façons d’apporter des saveurs supplémentaires grâce aux huiles, la plus fréquente restant peut-être l’utilisation de l’huile elle-même pour transporter l’arôme désiré, qu’il s’agisse d’herbes, d’épices, de piment ou de tout autre ingrédient aromatique. Certes, cela rajoute une étape à votre préparation – infuser l’huile au préalable – mais le reste ne change (presque) pas. Je trouve cette méthode particulièrement efficace lorsque je travaille des ingrédients fragiles comme les fleurs ou les herbes.
Apporter de la texture
Il s’agit peut-être bien de ma « manipulation » préférée. Personnellement, je n’ai jamais réussi à le faire avec d’autres matières grasses que celles qui se solidifient à température ambiante – le beurre, la graisse de canard ou de bœuf, etc. Alors oui, elles apportent de la saveur, mais la véritable raison pour laquelle je les aime tant, c’est qu’elles nappent l’alcool d’un voile d’onctuosité et de douceur.
On dirait presque qu’elles adoucissent les angles pour ne laisser qu’une version arrondie, moelleuse et plus intense de l’alcool de base. À mes yeux, rien ne vaut le beurre, parce qu’ « avec le beurre, tout est meilleur ». Et l’idéal, c’est le beurre de baratte, ce qui m’amène à mon dernier point…
Apporter de l’acidité
Huile de sésame et bourbon
Utiliser du beurre de baratte s’apparenterait presque à un coup de chapeau magistral : à vous les saveurs riches et crémeuses, la texture d’une douceur décadente et, pour couronner le tout, la finale acidulée impulsée par l’acide lactique. Par exemple dans un martini, selon moi, c’est l’évolution parfaite : on se rapproche de la boisson idéale !
En réalité, ce n’était pas mon dernier point, car la graisse est souvent utilisée aussi pour atténuer le côté épicé, par exemple quand on souhaite mettre en lumière le profil aromatique d’un piment intense – comme le piment jaune du Pérou (aji amarillo) ou le piment habanero – sans subir toute l’intensité du piquant. L’aji amarillo est un merveilleux piment péruvien, à la fois très fruité (avec ses notes de mangue et de fruit de la passion) et extrêmement fort (il présente un score enregistré de 30 000 à 50 000 sur l’échelle de Scoville). En l’infusant d’abord dans de l’huile avant de fat washer l’alcool, on conserve les notes fruitées tout en contrôlant le piquant – autrement dit on révèle les différentes facettes du fruit sans se brûler le palais. Et croyez-moi, on ne parle pas ici de petite brûlure.
Je suis convaincue qu’il existe d’innombrables autres techniques pour utiliser la matière grasse dans les boissons, et je n’ai donc pas fini de m’amuser ! Pour conclure, je vous propose de partager une petite préférence personnelle que j’ai mis longtemps à déterminer : jamais de chaleur pour travailler les matières grasses. À mes yeux, chauffer a trop souvent tendance à tuer la beauté qui se niche dans la subtilité des nuances.